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Dans l'affaire Girard c. Médecins (Ordre professionnel des)[1], le Tribunal des professions (ci-après le « Tribunal ») était saisi de l'appel d'une décision sur sanction rendue par le Conseil de discipline du Collège des Médecins (ci-après le « Conseil »). L'appelant prétendait que le Conseil lui avait imposé une sanction excessive eu égard à la nature des manquements qui lui étaient reprochés, et ce, en errant dans son appréciation de la preuve ainsi que dans la pondération des facteurs pertinents à l’établissement des sanctions.

Les faits menant à la plainte déposée par la syndique adjointe concernent les événements survenus dans la nuit du 12 novembre 2010. Alors que le Dr Girard était de garde à l'urgence, il prit en charge une patiente présentant des signes suggérant la présence d'un syndrome coronarien aigu. Sans poser ce diagnostic, il commanda un deuxième électrocardiogramme afin de pouvoir procéder à l’analyse de l’état de santé de la patiente. Il omettra toutefois de consulter les résultats de ce deuxième examen, et ce, malgré un rappel du service infirmier à cet effet. Le lendemain matin, le cardiologue de garde posait un diagnostic d'infarctus antéroseptal.

L’appelant enregistra un plaidoyer de culpabilité sur les deux (2) chefs d'infraction portés contre lui, soit d’avoir négligé d'élaborer un diagnostic avec la plus grande attention alors que la patiente présentait plusieurs signes ou symptômes suggérant la présence d’un syndrome coronarien aigu (premier chef) et d’avoir négligé de procéder rapidement à une réévaluation de la condition médicale de la patiente en omettant de consulter les résultats de l’examen qu’il avait ordonné (deuxième chef). Il se vit imposer des périodes de radiation concurrentes de six (6) mois et un (1) an respectivement.

Le professionnel soutient que le Conseil a commis des erreurs manifestes et dominantes, notamment en pondérant incorrectement les facteurs relatifs à la sanction, en centrant son analyse sur des antécédents professionnels non liés aux infractions et en prononçant des sanctions disproportionnées qui s'écartent des précédents jurisprudentiels. Après analyse, le Tribunal conclut au maintien de la décision de première instance.

En tout premier lieu, le Tribunal fait état du fait que les infractions reprochées à l'appelant sont qualifiées par le Conseil comme atteignant le cœur de la pratique médicale, c'est-à-dire l'élaboration du diagnostic et le suivi du patient. De l’avis du Conseil, il s’agit d’actions graves qui touchent à la protection du public. De plus, le Tribunal considère que le Conseil n'a pas commis d'erreur dans l'analyse des facteurs aggravants au dossier. En effet, l’appelant ayant été déclaré coupable d'une infraction de même nature en 1994, le Conseil était bien fondé de considérer la nouvelle infraction comme une récidive. Selon le Tribunal, le lourd dossier professionnel et disciplinaire du Dr Girard pouvait donc être pris en considération par le Conseil car les manquements qui y sont contenus sont de nature semblable à ceux qui lui étaient reprochés en l’instance. Finalement, le Tribunal conclut que même si la sanction est sévère et s'écarte de la fourchette des sanctions accordées par la jurisprudence, elle n'est pas déraisonnable. Le Tribunal cite à cet effet l'affaire Lacasse[2] selon laquelle les fourchettes jurisprudentielles ne doivent pas être considérées comme des moyennes ou des carcans rigides, car chaque affaire est un cas d'espèce. Le juge doit donc garder son plein pouvoir d'analyse et de pondération des facteurs pertinents à l’imposition de la peine, lesquels peuvent justifier un écart à une fourchette bien établie. En l'espèce, cette sanction sévère est justifiée par la gravité de l'infraction et par les objectifs de dissuasion, d'exemplarité et de protection du public.

En conclusion, nous retenons de cette décision le rappel du principe selon lequel les éléments du dossier professionnel et déontologique d’un intimé peuvent être considérés pourvu que ces éléments aient un lien avec l'infraction reprochée. De plus, il est intéressant de noter que le Tribunal rappelle encore une fois que les fourchettes de sanctions imposées par la jurisprudence[3] ne constituent tout au plus qu'un guide duquel les tribunaux peuvent s’écarter dans l'imposition de sanctions lorsque les circonstances le justifient.

 

[1] 2016 QCTP 129.

[2] R. c. Lacasse, [2015] 3 R.C.S. 1089.

[3] Voir à ce sujet notre résumé de la récente décision Médecins (Ordes professionnel des) c. Nguyen, 2016 QCTP 117 à l'addresse : < http://battah.ca/affaire-nguyen-medecins-relativite-principe-dharmonisation-sanctions/ >.