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Dans les affaires Ricard c. Biello[1] et Ricard c. Taillefer[2], le Tribunal des professions (ci-après le « Tribunal ») était saisi d’un appel porté à l’encontre de décisions disciplinaires rendues le 15 juillet 2015 par le Conseil de discipline (ci-après le « Conseil ») de l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec. Par ces décisions, le Conseil acquitte les intimées sur chacun des chefs d’infraction portés contre elles par le moyen de plaintes privées, lesquelles plaintes furent éventuellement réunies par décision du Conseil.

Les faits sont les suivants. L’Appelant est propriétaire d’un chat de race tonkinoise nommé Mikado. Le 21 novembre 2013, il se présente avec son chat à l’urgence du Centre vétérinaire Rive-Sud. Les intimées font partie des médecins vétérinaires s’étant occupées de Mikado avant son décès le 5 décembre 2013. L’Appelant demande une copie du dossier médical de Mikado en janvier 2014 et dépose des plaintes disciplinaires contre les intimées le 20 février 2014. Le Conseil entend les plaintes de façon commune et rend des décisions sur culpabilité distinctes, mais textuellement identiques sauf en ce qui concerne le libellé des chefs d’infraction.

En appel, le Tribunal des professions formule les questions en litige comme suit :

            a) Le Conseil a-t-il respecté les règles de justice naturelle en présence d’un plaignant non représenté par avocat ?

            b) Le Conseil a-t-il suffisamment motivé sa décision ?

Sur la première question en litige, le Tribunal débute en définissant le rôle d’un décideur face à un individu non représenté, qu’il soit plaignant ou intimé. Citant les propos de la Cour d’appel dans l’affaire Ménard[3], le Tribunal rappelle que l’intervention du décideur « consiste simplement à [instruire l’individu non représenté] de l’essentiel, à le guider de manière générale, et ce, lorsque le besoin s’en fait sentir »[4].

En l’espèce, l’Appelant était notamment d’avis que le Conseil avait mal rempli son devoir d’assistance en ne lui expliquant pas, avant l’audience, qu’il ne pouvait contre-interroger ses propres témoins. Pour le Tribunal, cet argument doit échouer puisque le Conseil a fourni cette explication à l’Appelant, et ce, avant même qu’il ne fasse entendre son premier témoin. Autrement dit, « le devoir d’assistance n’inclut pas celui de conseiller […] stratégiquement le justiciable non représenté »[5]. L’Appelant invoque ensuite que le Conseil l’aurait interrompu à plusieurs reprises lors de sa preuve. Encore une fois, le Tribunal rejette cet argument et justifie les interventions du Conseil par le fait que l’Appelant, au lieu d’interroger, argumentait, plaidait ou commentait. Pour le Tribunal, donc, « il était judicieux pour le Conseil d’intervenir afin d’assurer la bonne marche de l’audition »[6]. En terminant, l’Appelant reproche au Conseil de lui avoir suggéré de procéder chef par chef puisqu’il se serait, ce faisant, immiscé dans sa preuve. Le Tribunal n’y voit toujours pas d’erreur en ce que l’Appelant a été informé de cette façon de faire et que lui-même référait le Conseil aux chefs dont il voulait faire la preuve.

En ce qui concerne la deuxième question en litige, le Tribunal débute en citant l’affaire Nguyen[7] au sujet des critères qu’un tribunal doit suivre lors de l’examen de la suffisance de la motivation d’une décision. En l’espèce, rappelle le Tribunal, le « Conseil a rendu deux décisions identiques, bien que les chefs et les faits liés à chaque chef étaient différents »[8]. Pour lui, donc, « il en résulte une confusion qui nuit à l’intelligibilité »[9] des décisions. Étudiant plus en détail les décisions attaquées, le Tribunal émet l’opinion que selon lui, rien ne permet de comprendre comment le Conseil en est venu à la conclusion que l’Appelant n’a pas atteint son fardeau de la preuve. Pour le Tribunal, le Conseil a ainsi commis une erreur de droit justifiant le réexamen de la preuve. Le Tribunal s’autorise ensuite de l’article 175 du Code des professions, RLRQ, c. C-26 afin de rendre la décision qui aurait dû être rendue eu égard à la preuve. Après avoir repris l’étude de la preuve en fonction des chefs d’infraction, le Tribunal conclut de la même façon que le Conseil et rejette l’appel dont il est saisi.

Nous retenons de cette décision un rappel de principes important au niveau des devoirs des décideurs envers les justiciables non représentés. En l’instance, le Tribunal est notamment clair à l’effet qu’il n’est pas du ressort des tribunaux de conseiller, que ce soit juridiquement ou stratégiquement, le justiciable non représenté. Nous en retenons également un rappel concernant l’importance, pour le Conseil de discipline qui décide de conclure qu’un plaignant n’atteint pas son fardeau de la preuve, de rendre une décision intelligible en ce qui concerne les raisons pour lesquelles ce fardeau n’est pas atteint.

[1] 2017 QCTP 59-A.

[2] 2017 QCTP 60-A.

[3] Ménard c. Gardner, 2012 QCCA 1546.

[4] Id., para. 59.

[5] Préc., note 1, para. 44 et préc., note 2, para. 46.

[6] Préc., note 1, para. 54 et préc., note 2, para. 56.

[7] Médecins (Ordre professionnel des) c. Nguyen, 2016 QCTP 117.

[8] Préc., note 1, para. 67 et préc., note 2, para. 69.

[9] Préc., note 1, para. 68 et préc., note 2, para. 70.