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Dans la présente affaire[1], le Tribunal des professions (ci-après « Tribunal ») devait juger d’un appel porté par M. Nessim Habashi, ingénieur, contre des décisions sur culpabilité et sanction ayant respectivement été rendues à son égard les 25 septembre 2013 et 30 octobre 2015 par le Conseil de discipline de l’Ordre des ingénieurs du Québec (ci-après « Conseil »).

Les faits sont les suivants. En 2004, la société Les Consultants Cogerec Ltée (ci-après « Cogerec »), dont M. Habashi est président, est mandatée pour assister la société Janin-Bot dans un litige l’opposant à la Société d’Énergie de la Baie-James (ci-après « SEBJ »). De ce mandat découle un rapport daté du 29 novembre 2010 (ci-après « Rapport »), lequel est cosigné par M. Habashi, rédacteur du Rapport, et M. Raymond Brais, alors ingénieur et vice-président de Cogerec. M. Brais, à la demande de M. Habashi, n’avait pas participé à la rédaction du Rapport, mais l’avait révisé et en avait validé les conclusions. Le 16 décembre 2011, SEBJ dépose contre M. Habashi une plainte disciplinaire privée composée de deux chefs d’infraction lui reprochant d’avoir manqué à son devoir d’intégrité (chef #1) et incité M. Brais à commettre une infraction disciplinaire (chef #2), le tout en demandant à ce dernier de cosigner le Rapport sans avoir participé à sa préparation ou à sa rédaction. M. Habashi fut déclaré coupable par le Conseil et condamné à verser des amendes totalisant 3 500$.

Le Tribunal infirme les décisions du Conseil et acquitte M. Habashi sur tous les chefs. Son raisonnement est le suivant.

Sur le premier chef, le Conseil jugeait que le fait que le Rapport ait été cosigné sans aucune précision quant au rôle joué par chaque cosignataire induisait le lecteur en erreur en laissant entendre que les deux ingénieurs ont participé à sa préparation et à sa rédaction. Le Conseil dit prendre note que l’objectif de M. Habashi, âgé de plus de 65 ans, était de permettre que M. Brais puisse présenter le Rapport en cas d’incapacité de M. Habashi. Cela dit, M. Habashi aurait tout de même accepté que M. Brais présente en Cour un Rapport qu’il n’a pas rédigé ni préparé, manquant ainsi à son devoir d’intégrité. Le Tribunal rejette le raisonnement du Conseil. Pour lui, comme pour la Cour supérieure[2], le fait qu’un rapport soit signé par plus d’une personne ne pose pas problème puisque chacune de ces personnes pourra éventuellement être interrogée sur son apport à la confection dudit rapport. De plus, le Rapport « en est un d’analyse, de présentation de méthodes comptables et d’appréciation de la réclamation » de Janin-Bot contre SEBJ et « ne contient pas de constats faits exclusivement par Habashi […] sur le terrain ». Dans ce contexte, M. Brais ne fait que « valider une démarche et ses conclusions ». En demandant à M. Brais d’agir de la sorte, donc, M. Habashi ne manquait pas à son devoir d’intégrité.

Sur le deuxième chef, le Conseil avait conclu que M. Habashi avait contrevenu à l’article 4.02.03 du Code de déontologie des ingénieurs[3] en incitant M. Brais à contrevenir à l’article 3.04.02, al. 1 du même code, lequel article interdit aux ingénieurs de signer un rapport préparé par des non-ingénieurs s’il n’a pas été préparé sous leur direction ou supervision immédiate. Le Tribunal rejette également cet argument. Pour lui, M. Brais n’a pas contrevenu à l’article 3.04.02 puisque l’al. 2 de ce même article autorise les ingénieurs à signer un rapport préparé par d’autres ingénieurs, en l’occurrence M. Habashi. Il ajoute que M. Brais est habitué à ce genre de rapport et que par conséquent, le fait de consacrer près de 30 heures à la relecture du Rapport constitue une implication non négligeable. Ainsi, comme M. Brais n’a pas contrevenu à son code de déontologie, M. Habashi n’a pu l’y inciter. En terminant, la SEBJ plaidait que comme M. Brais fut parallèlement déclaré coupable par le conseil de discipline d’avoir contrevenu à l’article 3.04.02 et qu’il n’avait pas porté appel de cette décision, il y avait chose jugée plaçant M. Habashi forclos de contester l’existence d’une contravention à cet article. Pour le Tribunal, non seulement il n’y a pas chose jugée, mais le fait que M. Brais n’ait pas porté appel de sa condamnation ne peut empêcher M. Habashi de le faire. Par voie de conséquence, le Tribunal était compétent pour juger de la question de la contravention à l’article 3.04.02 comme il l’a fait.

Le Tribunal ayant infirmé les conclusions du Conseil sur culpabilité, il annule les sanctions imposées.

Nous retenons de cette affaire une confirmation du Tribunal à l’effet que la décision qui déclare un professionnel coupable d’un manquement disciplinaire ne constitue pas une fin de non-recevoir à un acquittement pour le professionnel l’ayant incité à commettre ledit manquement, et ce, même en tenant pour acquis la présence d’une preuve relative à l’acte d’incitation. A contrario, cela témoigne selon nous de la possibilité pour un professionnel d’être déclaré coupable d’avoir incité un autre professionnel à commettre une infraction, et ce, malgré l’existence d’une décision acquittant ce dernier d’avoir commis l’infraction en question.

[1] Habashi c. Société de l’Énergie de la Baie-James, 2017 QCTP 18.

[2] Mouvement laïque québécois c. Commission des écoles catholiques de Montréal et Mousseau, REJB 1998-05334.

[3] RLRQ, c. I-9, r. 6.