Dans l’affaire Bernier[1], le Tribunal était saisi de deux (2) appels, l’un par M. Léo Bernier (ci-après « Intimé ») et l’autre par M. Marcel Bonneau, en sa qualité de syndic (ci-après « Syndic ») de l’Ordre des travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (ci-après « Ordre »), réunis pour une audition commune et portant sur la sanction imposée à l’Intimé par le Conseil de discipline de l’Ordre (ci-après « Conseil ») en première instance.
Les faits sont les suivants. En mars 2010, l’Intimé se voit confier le cas d’une cliente, Mme V. P., qui a besoin d’un suivi externe après une hospitalisation en psychiatrie. Environ 6 mois après le début du suivi, l’Intimé parle à sa cliente des limites des échanges verbaux et de l’importance d’utiliser son corps pour exprimer ses émotions. Il lui remet, quelque temps plus tard, un livre autobiographique traitant de sexualité. Entre les mois de juin et septembre 2011, l’Intimé prodigue à sa cliente 4 massages, lui massant tout le corps, parfois les seins, et effleurant ses parties génitales. En septembre 2011, l’Intimé remet à sa cliente un DVD traitant de sexualité. Toujours en septembre 2011, l’Intimé propose à sa cliente de lui faire des massages érotiques, ce qu’elle refuse.
Le 18 janvier 2012, le Syndic dépose une plainte disciplinaire accompagnée d’une demande de radiation provisoire. La plainte comporte 2 chefs, mais ce n’est que le premier, reprochant à l’Intimé d’avoir posé des gestes abusifs à caractère sexuel, qui fait l’objet des appels sur sanction. Le 6 février 2012, l’Intimé s’engage à ne pas exercer sa profession jusqu’à la fin du processus disciplinaire. Bien que l’Intimé ait ensuite plaidé coupable, l’audience sur sanction dure 7 jours et se termine le 14 mars 2013.
Lors de cette audience, l’Intimé demandait qu’une période de radiation de 3 mois lui soit imposée alors que le Syndic demandait 3 ans. Le 21 novembre 2014, durant le délibéré, la procureure de l’Intimé transmet au Conseil une lettre l’informant des difficultés financières et psychologiques subies par l’Intimé en raison de la longueur du délibéré. Le 7 mai 2015, après 2 ans et 2 mois de délibéré, le Conseil rend sa décision sans faire mention de la lettre du 21 novembre 2014. Une période de radiation de deux (2) ans est imposée à l’Intimé.
L’appel soulève 4 questions :
- Le Conseil a-t-il imposé une sanction inadéquate en rendant une décision insuffisamment motivée et en omettant d'analyser tous les facteurs pertinents?
- Le Conseil a-t-il manqué à une règle de justice naturelle en s'abstenant d'agir après avoir reçu, durant son délibéré, la communication de faits nouveaux, susceptibles d'influencer sa décision?
- Le Conseil a-t-il erré en omettant de considérer le délai du délibéré, de même que les effets du délai de 40 mois écoulé entre la date de l'engagement contracté par le professionnel et la date de sa décision?
- Le cas échéant, les sanctions devant être prononcées en appel reposent-elles sur les dispositions de l'article 156Prof. entrées en vigueur le 8 juin 2017?
À la première question, le Tribunal répond par la positive. En effet, dit-il, le Conseil restreint son analyse sur sanction à un seul facteur, soit la gravité. Ce faisant, il omet de considérer les autres facteurs pertinents, à savoir notamment la dissuasion, le risque de récidive, l’absence d’antécédents, etc. Pour le Tribunal, cela constitue une erreur de principe qui justifie son intervention.
À la deuxième question, le Tribunal répond par la positive. En effet, dit-il, le Conseil était tenu au respect de l’équité procédurale[2] et ne pouvait recevoir, en l’absence d’une partie, la communication de faits pertinents et non prouvés. En l’espèce, le Conseil était tenu d’informer le Syndic des informations portées à sa connaissance et lui donner l’opportunité de réagir. Pour le Tribunal, cette omission du Conseil justifie également son intervention.
À la troisième question, le Tribunal répond par la positive. En effet, le Tribunal affirme que le délibéré de 25 mois du Conseil est inacceptable. De plus, il ajoute qu’un tel délibéré est susceptible de justifier l’allégement d’une sanction sur preuve de préjudice en découlant[3]. Cela dit, un tel préjudice n’ayant pas été prouvé en l’espèce, il refuse d’intervenir sur cette base. Ensuite, le Tribunal constate que le Conseil omet de tenir compte du délai de 40 mois entre l’engagement de l’Intimé de ne plus pratiquer et la signification de la décision. En effet, et bien que le Conseil affirme en avoir tenu compte, la décision n’indique pas de quelle façon ce délai fut considéré. Pour le Tribunal, il s’agit d’une autre erreur de principe.
Enfin, le Tribunal répond également par la positive à la dernière question. Référant à l’affaire Oliveira[4], le Tribunal conclut qu’il devra prononcer la nouvelle sanction en appliquant l’article 156 du Code des professions (ci-après « C prof ») tel que modifié le 8 juin 2017. Pour ces motifs, et après réexamen de la preuve en première instance, le Tribunal accueille l’appel du Syndic, infirme la décision du Conseil afin de substituer la sanction sur le chef 1 et impose une radiation de 5 ans en plus d’une amende de 2 500$. Cela dit, le Tribunal constate, dans son jugement, que la période de radiation de 5 ans est purgée, et ce, vu la cessation d’exercice signée par l’Intimé le 6 février 2012.
Nous retenons de cette décision une nouvelle confirmation jurisprudentielle relative à la nécessité de faire la preuve du préjudice subi en lien avec la longueur d’un délibéré afin d’obtenir l’allégement d’une sanction. De plus, nous retenons que lorsque le Tribunal est appelé à prononcer une nouvelle sanction conformément à l’article 175 C prof, il doit le faire en tenant compte du nouveau régime de l’article 156 C prof, et ce, même si la date de l’imposition de la sanction en première instance est antérieure au 8 juin 2017.
[1] Travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (Ordre professionnel des) c. Bernier, 2018 QCTP 31.
[2] Kane c. Cons. d’administration du l’U.C.B., 1980 1 RCS 1105.
[3] Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Gauthier, 2012 QCTP 151.
[4] Physiothérapie (Ordre professionnel de la) c. Oliveira, 2018 QCTP 25.