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Le 19 mai 2016, dans l'affaire Starra c. Médecins (Ordre professionnel des)[1], le Tribunal des professions (ci-après le « Tribunal ») infirme la décision du Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec (ci-après le « Conseil »), en concluant que le Conseil a erré de façon manifeste et dominante dans l'appréciation de la preuve.

Les faits menant à la plainte concernent un patient qui a été hospitalisé en janvier 2011 pour une toux persistante.  Le 11 mars 2011, l'intimé, Dr Ron Frank Starra, discute avec le patient de la question d’un cancer du poumon.  Il y a une nette divergence entre la version du patient et celle de l'intimé.  Dr Starra affirme que le patient a refusé de poursuivre l'investigation clinique, qui serait utile pour écarter un diagnostic alternatif, et refuse tout traitement de chimiothérapie.  Le patient affirme plutôt que l'intimé lui a dit de façon assez brutale qu'il était condamné. Il lui recommande de ne pas poursuivre l'investigation clinique et de ne pas subir la chimiothérapie, et ce, afin d'éviter des souffrances inutiles.  Le patient suit ces recommandations, mais entreprend également diverses démarches.  Dans les mois qui suivent, le patient reçoit un diagnostic de cancer des ganglions.  Il est traité en chimiothérapie et connait une rémission complète.

Le syndic adjoint du Collège des médecins du Québec (ci-après l’ « appelant ») reproche à l'intimé son approche dans l'élaboration du diagnostic (chef 1), son attitude et son langage injustifié et inapproprié (chef 2) et sa négligence d'assurer un suivi médical adéquat (chef 3).  Le Conseil conclut que face à la dichotomie des témoignages, il ne peut tirer une conclusion claire, alors le plaignant ne s'est pas déchargé de son fardeau de preuve.  Ainsi, le Conseil acquitte Dr Starra sur les trois chefs d'infractions.  Le syndic adjoint interjette appel de cette décision, affirmant que le Conseil a commis des erreurs manifestes et dominantes dans son processus d'analyse de la preuve.

De prime abord, le Tribunal reconnaît que le décideur de première instance est le mieux placé pour évaluer l'ensemble de la preuve.  Cependant, en reprenant les propos de la Cour suprême dans l'arrêt Harper[2], le tribunal rappelle que « s'il se dégage du dossier, ainsi que des motifs de jugement, qu'il y a eu omission d'apprécier des éléments de preuve pertinents et, plus particulièrement, qu'on a fait entièrement abstraction de ces éléments, le tribunal chargé de révision doit alors intervenir ».

En l'espèce, le Tribunal précise qu'il faut aller au-delà d'une simple nomenclature des éléments de preuve.  Devant les versions contradictoires des principaux intéressés, il faut examiner les autres éléments de preuve qui peuvent apporter un éclairage utile.  Selon le Tribunal, le Conseil a failli à cette tâche, notamment en ne tenant pas compte du témoignage de l'épouse du patient qui était présente à la rencontre du 11 mars, du fait que le patient était toujours collaborateur en vue de subir les examens et traitements et du fait qu'il contacte un autre médecin pour obtenir des informations sur un nouveau traitement.  De plus, le Tribunal considère qu'un doute s'installe sur le caractère probant de la version de l'intimé, qui semble avoir une mémoire beaucoup plus précise des faits, lors de l'audition devant le Conseil, que lors de l'enquête du syndic.

Le Tribunal, soupesant l'ensemble de ces considérations, est d’avis que l'appelant a offert une preuve prépondérante. Ainsi, la décision du Conseil est infirmée et l'intimé est reconnu coupable des trois chefs d'infractions.  Le dossier a été renvoyé devant le Conseil pour l'établissement de la sanction.

Nous retenons de cette affaire qu’en présence de témoignages contradictoires sur un enjeu central, il est important pour un conseil de discipline de bien soupeser les autres éléments de preuve avant de conclure et que le défaut de ce faire ouvre la porte à une intervention en appel.  

[1]    2016 QCTP 95.

[2]    Harper c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 2, p. 14