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Dans cette affaire récente[1], le Tribunal des professions (ci-après « Tribunal ») rappelle son rôle en tant que tribunal d'appel et la déférence qui s'impose face au décideur de première instance. De plus, une dissidence est exprimée quant au poids à accorder aux facteurs objectifs et subjectifs retenus au stade de la sanction.

M. Karkar (ci-après « Appelant ») a été reconnu coupable par le Conseil de discipline du Barreau du Québec (ci-après « Conseil ») sur deux chefs d'infraction, soit : (1) avoir fait des fausses déclarations à un greffier de la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et statut du réfugié (ci-après « CISR-SI ») quant à sa présence à une audience dans le dossier de monsieur H.U.B.D., afin d'obtenir une attestation de présence dudit greffier, alors qu’il savait qu’il n’avait pas été présent à ladite audience; et (2) avoir fait des fausses déclarations, par voie de télécopie, à une préposée du bureau d'Aide juridique de Montréal, prétendant qu'il était présent avec monsieur H.U.B.D. lors de son audience, et a joint à sa télécopie une attestation de sa présence alors qu’il savait qu’il n’avait pas été présent à ladite audience et que ladite attestation était fausse. Pour chacune de ces infractions, le Conseil lui impose une radiation temporaire d'une année, sanctions à être purgées concurremment.

Le Tribunal est amené à analyser, principalement, si le Conseil a commis une erreur manifeste et dominante lorsqu'il a conclu à la culpabilité de l’Appelant sur les deux chefs d'accusation. Dans la négative, la même question se posait quant à l’imposition d’une radiation temporaire d'un an sur chacun des chefs.

L'Appelant prétend qu'il n'a pas fait de déclarations mensongères au greffier, car il était présent à la CISR-SI et disponible au cas où monsieur H.U.B.D. requerrait ses services. De plus, l’Appelant plaide que l'attestation avait été demandée pour se protéger contre une plainte éventuelle de monsieur H.U.B.D., et non pas pour prétendre qu’il avait assisté à l’audition de ce dernier. Ces arguments n’ont pas été retenus. Le Conseil a conclu que la preuve administrée en première instance démontrait que l'attestation de présence sert essentiellement à l'émission des mandats d'aide juridique et laisse entendre que l'avocat était présent à l'audience et avait rendu des services. En ne s’assurant pas que l’attestation émise par le greffier reflète plus spécifiquement la réalité, le Conseil est d’avis que l’Appelant a fait par omission une fausse déclaration, car cette attestation induit en erreur les intervenants du milieu. Cette conclusion repose en partie sur le fait que l’Appelant serait un habitué à la CISR-SI et ne pouvait ignorer que l’attestation pouvait induire en erreur. Selon une logique similaire, l’Appelant aurait induit en erreur une préposée de l'aide juridique en prétendant, par le biais de son adjointe, qu'il était présent à l'audience de H.U.B.D. et en y joignant l'attestation de présence émise par le greffier. Après analyse, le Tribunal conclut que le Conseil n'a pas commis d'erreur manifeste et dominante en prononçant l’Appelant coupable sur les deux chefs d'infraction.

Le Tribunal en arrive à la même conclusion quant à l’appel sur sanction. Le Tribunal rappelle la déférence qui s'impose à une instance en appel face au décideur de première instance. Les pairs sont les personnes les mieux placées pour déterminer les sanctions appropriées. Une sanction devient déraisonnable lorsqu'elle est si sévère qu'elle est injuste ou inadéquate eu égard à l'infraction et à l'ensemble des circonstances, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

Notons toutefois que l’honorable Jacques Tremblay a exprimé une dissidence quant aux sanctions imposées par le Conseil. En se basant sur un arrêt de la Cour d'appel[2], le juge Tremblay est d’avis que les facteurs objectifs d’un dossier disciplinaire doivent avoir préséance sur les facteurs subjectifs, et ce, afin de respecter la finalité du droit disciplinaire, soit la protection du public. Quant au présent dossier, le Conseil aurait erronément surpondéré les facteurs subjectifs. Ainsi, le juge Tremblay considère que la sanction devrait être réduite à six mois.

En conclusion, nous retenons de ce jugement le rappel de la déférence qui s'impose face au décideur de première instance. En l’absence d’une erreur le justifiant, le Tribunal ne substituera pas son analyse à celle du Conseil pour choisir la sanction la plus appropriée. Nous notons également la dissidence du juge Tremblay qui plaide en faveur d’une hiérarchisation des facteurs retenus par le Conseil au stade de la sanction.

[1]   Karkar c. Avocats (Ordre professionnel des), 2016 QCTP 106, décision rendue le 16 juin 2016.

[2]   Marston c. Autorité des marchés financiers, 2009 QCCA 2178.