Dans l’affaire Girouard c. Comptables professionnels agréés (Ordre des)[1], le Tribunal des professions (ci-après le « Tribunal ») infirmait la décision du Conseil de discipline de l’Ordre des Comptables professionnels agréés du Québec (ci-après le « Conseil ») à l’effet de ne pas suivre la suggestion commune des parties quant à la sanction, et ce, afin d’appliquer une sanction plus sévère que celle proposée par celles-ci.
Les faits menant au dépôt d’une plainte de vingt (20) chefs contre M. Serge Girouard consistent en la transmission, par ce dernier de deux (2) lettres à M. Claude Maurer, CPA, CA, en sa qualité de syndic adjoint, dans le cadre d’une enquête que ce dernier menait relativement aux états financiers d’une société. Dans ses lettres, M. Girouard affirmait que Mme M. L. était une représentante et employée de la société concernée par l’enquête de M. Maurer alors qu’il a reconnu plus tard que cette information était fausse (chefs 1 et 2). M. Girouard a également été trouvé coupable de ne pas avoir rempli des mandats de certification avec tout le soin nécessaire et conformément aux normes professionnelles en vigueur (chefs 3 à 20).
M. Girouard a plaidé coupable aux infractions qui lui étaient reprochées lors de l’audition du 4 juin 2014. Les parties ont alors formulé une proposition commune sur sanction au Conseil, soit une radiation temporaire d’un (1) jour sur chacun des chefs 1 et 2 et de trois (3) mois sur chacun des chefs 3 à 20, le tout à être purgé concurremment. La journée-même, pendant le délibéré, un avis fut envoyé aux parties par le Conseil. Cet avis mentionnait que le Conseil n’entendait pas suivre la recommandation sur sanction concernant les chefs 3 à 20, et ce, pour plusieurs motifs. Selon lui, il apparaissait clairement de la preuve que les missions de vérification n’avaient pas été exécutées par M. Girouard ni même par son cabinet et que sa signature aux rapports de mission est une signature de complaisance. Ce fait démontrait selon le Conseil un manque d’intégrité flagrant de sa part, lequel minait totalement la crédibilité des missions de vérification qu’il prétendait avoir exécutées et allait à l’encontre de l’honneur et de la dignité de la profession. Selon le Conseil, les décisions déposées par les parties ne collaient pas à la réalité puisqu’elles soulevaient un vice dans l’exécution des missions, donc une erreur de compétence et non de complaisance comme c’était le cas dans le présent dossier. Suite à cet avis, une audience eut lieu le 3 décembre 2014 au courant de laquelle les parties ont réitéré leur position quant à leur suggestion commune. Le Conseil a toutefois maintenu sa décision d’écarter la suggestion commune et, dans une décision rendue le 7 janvier 2015, a imposé à M. Girouard une radiation temporaire d’un mois sur chacun des chefs 1 et 2 et de six (6) mois sur chacun des chefs 3 à 20, le tout à être purgé concurremment.
Fait intéressant, devant le Tribunal, les parties s’entendaient non seulement sur les questions en litige, mais également sur les réponses à apporter et sur les conclusions recherchées dans le cadre de l’appel interjeté. Bref, elles désiraient que leur suggestion commune sur sanction soit mise en application. Les questions en litige sont au nombre de trois (3). Premièrement, l’avis envoyé par le Conseil était-il suffisant? Deuxièmement, le Conseil a-t-il commis une erreur en s’appuyant sur des éléments ne faisant pas partie de la preuve pour ainsi rejeter la recommandation commune? Troisièmement, a-t-il commis une erreur en rejetant la recommandation commune sans motif valable?
Sur la première question, les parties soulèvent que rien dans la teneur de l’avis ne pouvait laisser croire que le Conseil avait l’intention de déroger à la suggestion commune concernant les chefs 1 et 2. Le Tribunal est en accord avec cet argument et une telle erreur permet son intervention. Concernant la deuxième question, le Tribunal conclut que le Conseil a commis une erreur manifeste et déterminante en ce que certaines des affirmations sur lesquelles il s’était fondé pour rejeter la recommandation commune des parties n’avaient pas d’assise dans la preuve. Finalement, concernant la troisième question, le Tribunal répondait que le Conseil avait valablement avisé les parties de son intention d’écarter la suggestion commune quant aux sanctions. Cependant, ce dernier n’a pas, dans sa décision, expliqué en quoi la teneur de cette suggestion commune n’était pas raisonnable en l’espèce. Il n’explique pas non plus en quoi elle est contraire à l’intérêt du public et discrédite la justice. De l’avis du Tribunal, le fait de faire la revue de divers facteurs aggravants n’est pas suffisant pour se décharger de ce fardeau.
Nous retenons de cette affaire le rappel du principe voulant que bien que les Conseils de discipline ne soient pas liés par la suggestion commune des parties, le rejet de celle-ci est assujetti à une procédure préalable. Tout d’abord, le Conseil doit aviser les parties de son intention de rejeter ladite suggestion commune. Il doit également exposer sommairement l’objet de ses préoccupations. Finalement, il doit donner l’occasion aux parties d’y réagir. Une fois cette procédure respectée, le devoir du Conseil ne s’arrête pas là. En effet, il doit, dans sa décision écartant la suggestion commune, expliquer en quoi sa teneur n’est pas raisonnable, en ce sens qu’elle est contraire à l’intérêt public et discrédite la justice.
[1] 2016 QCTP 8.