Loading...

Dans l'affaire Chouinard[1], le Tribunal des professions (ci-après le « Tribunal ») était saisi de l'appel d'une décision du Conseil de discipline de la Chambre des notaires du Québec (ci-après le « Conseil ») portant sur l'altération d'un testament après signature et l’émission d’une copie non conforme à l’original. Se pourvoyant devant le Tribunal, le professionnel soutenait que le Conseil avait jugé sans respecter les règles de justice naturelle, erré dans l'appréciation de la preuve et prononcé une sanction déraisonnable.

Les faits menant à la plainte se résument comme suit. Le 13 septembre 2010, l'appelant reçoit un mandat pour la confection d'un testament, où il est convenu que la testatrice lègue 15% de ses biens à son fils J.L., le résidu étant divisé en parts égales entre les trois autres enfants. Le 20 septembre 2010, lors d'une deuxième rencontre avec la testatrice et sa fille F.L., une erreur est constatée. En effet, le testament est plutôt rédigé de façon à distribuer le résidu entre les quatre enfants, incluant J.L. Selon l’appelant, l'erreur aurait alors été corrigée et le testament, dument complété et remis à la testatrice. Toutefois, après la mort de la testatrice au mois de juillet 2011, F.L. se rend compte que le testament signé qui avait été remis à la testatrice contient la même erreur. Elle contacte alors l’appelant, lequel lui remet une copie du testament où J.L. reçoit 15% tout en prétendant que c’est cette version qui a été signée le 20 septembre 2010. Or, après une enquête approfondie, la syndique adjointe conclut plutôt que la version originale du testament, tel que signée par la testatrice, contenait bel et bien l’erreur en question et que ce n’est qu’en août 2011, soit après le décès de celle-ci, que l’appelant a altéré le testament de manière à le rendre conforme aux intentions qui lui avaient été manifestées en septembre 2010.

La syndique adjointe reprochait au professionnel d'avoir commis deux (2) infractions, soit : (1) d'avoir modifié et/ou altéré le testament après que celui-ci eut été signé par la testatrice et (2) d’avoir émis une copie non conforme de l'original du testament. Celle-ci proposait donc une sanction de six (6) mois sur chacun des chefs. Le Conseil, d'avis que cette suggestion ne remplissait pas les objectifs de dissuasion et d'exemplarité pour une infraction qui touche le cœur même de la profession, imposa plutôt des périodes de radiation temporaires concurrentes de dix-huit (18) mois.

Devant le Tribunal, l'appelant alléguait que le Conseil s’était ingéré dans la présentation de la preuve et qu’il avait été partial. Pour illustrer ses propos, l'appelant référait notamment à des extraits de transcription de l'audience dans lesquels le Tribunal ne vit aucune ingérence ni commentaire désobligeant. Rappelant le principe voulant que la crainte de partialité doive être jugée du point de vue de la personne raisonnable[2], le Tribunal rappela que tous les décideurs ont des personnalités différentes et que tant que leurs propos demeurent pertinents et courtois, il ne peut y avoir de reproche à leur égard. De l’avis du Tribunal, le droit de l’appelant à une défense pleine et entière n’avait subi aucune atteinte puisque de surcroit, ce dernier n’avait pu faire la preuve d’un moment où il avait été empêché de présenter une quelconque preuve.

L'appelant prétendait également que le Conseil avait erré dans l'appréciation de la preuve, notamment en accordant une trop grande force probante à la preuve d'analyse informatique utilisée par la plaignante pour démontrer que le testament avait été altéré après le 20 septembre 2010. Selon le Tribunal, la preuve informatique apportée était claire et probante et la conclusion logique qui en découle est celle qui fut retenue par le Conseil. Finalement, le Tribunal qualifie de « peu probable » et de « non corroborée » la version des faits présentée par le plaignant selon laquelle ses collaboratrices auraient modifié le testament lors de la rencontre du 20 septembre, mais ne l'auraient pas sauvegardé.

Enfin, l'appelant soumettait que les sanctions qui lui ont été imposées sont déraisonnables. Sur ce point, le Tribunal donne raison à l'appelant. En effet, la jurisprudence impose pour des gestes de même nature des peines variant de l'amende à des radiations temporaires de trente (30) jours. Selon lui, le Conseil n'a pas apporté d'explication compréhensible pour justifier une peine qui se démarquer de façon si importante des positions des parties et des précédents jurisprudentiels. Le Tribunal rappelle qu'il doit y avoir un équilibre entre les divers objectifs et facteurs reconnus par la jurisprudence en matière d’imposition de peine disciplinaire. En insistant trop sur les facteurs de dissuasion et d'exemplarité, le Conseil aurait donc commis une erreur de principe. En l'espèce, le Tribunal considère que la suggestion de la syndique adjointe en première instance, soit une période de radiation temporaire de six (6) mois, concurrente sur les deux chefs, assure la dissuasion et l'exemplarité.

En conclusion, nous retenons principalement de cette décision que même si les fourchettes de peines imposées par les tribunaux ne sont en aucun cas des carcans rigides, le Conseil de discipline qui souhaite s’en écarter de façon substantielle doit tout de même justifier sa décision de le faire. Autrement, comme ce fut le cas ici, une sanction qui s’écarte de la fourchette jurisprudentielle pourrait être renversée en appel par le Tribunal. De plus, il est intéressant de noter le rappel du principe selon lequel la crainte de partialité alléguée contre un décideur de première instance doit être suffisamment importante pour être crue par « une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique[3] ».

[1] Chouinard c. Notaires (Ordre professionnel des), 2016 QCTP 89.

[2] Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369.

[3] Préc., note 2, par. 40.