Dans l’affaire Chbeir[1], le Tribunal des professions (ci-après le « Tribunal ») est saisi des appels de la syndique adjointe et du professionnel remettant en question la justesse de la sanction prononcée par le Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec (ci-après le « Conseil »).
Les faits sont les suivants. Le 14 décembre 2010, le professionnel pratique une arthrographie de l’épaule de sa patiente. Après avoir quitté l’hôpital, cette dernière reçoit un appel téléphonique du professionnel. Il est alors convenu qu’il passera chez elle plus tard dans la journée. Une fois sur place, une relation sexuelle complète a lieu sur le lit de la patiente. Le 28 janvier 2011, le professionnel appelle à nouveau la patiente. Il est alors convenu qu’il passera chez elle le jour même. La patiente, désirant que le professionnel soit pris sur le fait, contacte immédiatement une travailleuse sociale afin que cette dernière l’aide à faire intervenir les policiers à son domicile. À leur arrivée, les policiers trouvent le professionnel complètement nu, en train de se livrer à des gestes à caractère sexuel sur la patiente. La syndique adjointe dépose une plainte disciplinaire.
Le professionnel enregistre un plaidoyer de culpabilité. Le Conseil le déclare coupable d’avoir posé des gestes abusifs à caractère sexuel (article 59.1 du Code des professions). La syndique adjointe demande au Conseil d’imposer au professionnel une période de radiation temporaire d’une durée minimale de trois ans ou maximale de cinq ans. Le professionnel, quant à lui, demande à ce que cette période de radiation soit de cinq mois.
Devant le Conseil, les versions de la patiente et du professionnel sont irréconciliables. Le professionnel soutient avoir répondu à une invitation implicite de sa patiente et que cette dernière était consentante et a fait preuve d’initiative lors de la relation sexuelle. La patiente, quant à elle, nie les affirmations du professionnel. Selon elle, c’est en se livrant à des palpations alors qu’il l’examine, que le professionnel la contraint soudainement à un rapport sexuel qu’elle ne désire pas. Le Conseil doit donc trancher. À l’analyse, il écarte totalement la version du professionnel et retient la version de la patiente. Le Conseil conclut qu'elle n’a jamais consenti aux gestes posés. Il impose au professionnel une période de radiation de deux (2) ans et une amende de 3 000$. Les deux parties interjettent appel de la décision du Conseil. Le débat porte uniquement sur la durée de la période de radiation temporaire imposée.
En premier lieu, le professionnel reproche au Conseil d’avoir commis une erreur manifeste et dominante dans l’appréciation des faits et d’avoir erré en concluant à l’absence de consentement. Il invite le Tribunal à décortiquer la version complète de la patiente afin de conclure que son témoignage n’est pas crédible. Le Tribunal rappelle qu’il exerce une compétence d’appel et qu’il ne s’agit donc pas de la reprise du procès. Une grande retenue s’impose lorsqu’il s’agit de réviser les déterminations factuelles du premier décideur qui a entendu toute l’affaire, apprécié l’ensemble de la preuve et évalué la crédibilité des témoins. Le Tribunal doit d’abord constater l’existence d’une erreur manifeste et dominante avant de se livrer à un tel exercice, ce qui n’est pas le cas dans la présente affaire. En effet, le professionnel fonde son pourvoi sur une divergence de vues dans l’appréciation de la preuve, ce qui ne peut constituer un motif d’appel puisque le Conseil expose et motive clairement sa décision de retenir la version de la patiente.
En deuxième lieu, les deux parties remettent en question la justesse de la sanction eu égard aux précédents jurisprudentiels : sanction trop clémente pour l’une, trop sévère pour l’autre. Le Tribunal conclu qu’il n’a pas à intervenir, car le Conseil exprime clairement sa volonté de s’écarter des suggestions des parties, jugeant que la grande divergence qui en ressort lui laisse toute la latitude d’imposer la sanction qui lui paraît la plus appropriée, juste et équitable. De plus, le Tribunal rappelle que la Cour suprême du Canada, dans l’affaire Lacasse[2], a réitéré que les fourchettes de peines doivent être vues comme des outils visant à favoriser l’harmonisation des sanctions et non pas comme des carcans.
En conclusion, nous retenons de cette décision qu’il existe actuellement une tendance à l’accroissement de la sévérité des sanctions et que cette tendance ne doit pas nécessairement amener le Tribunal à intervenir. En effet, la jurisprudence se doit d’être évolutive afin de pouvoir s’adapter aux époques et aux différentes problématiques qui surgissent au fil du temps en regard d’un type d’infraction en particulier.
[1] Médecins (Ordre professionnel des) c. Chbeir, 2017 QCTP 3 et Chbeir c. Médecins (Ordre professionnel des), 2017 QCTP 4
[2] R. c. Lacasse, [2015] 3 RCS 1089, par. 58 et 67.