Dans la présente affaire[1], le Tribunal des professions (ci-après « Tribunal ») était saisi d’une demande pour être relevée du défaut de présenter une demande en rejet d’appel, d’une demande en rejet d’appel et d’une demande de provision pour frais, toutes déposées par Mme Véronica-Elizabeth Carvajal-Quinteros (ci-après « Intimée »). De même le Tribunal était saisi d’une requête pour dépôt de nouvelle preuve en appel, déposée par Mme Isabelle Lavoie, en sa qualité de syndique adjointe (ci-après « Appelante »). L’ensemble de ces demandes étaient déposées dans le cadre d’un appel d’une décision sur culpabilité rendue par le Conseil de discipline de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (ci-après « Conseil ») dans laquelle l’Intimée a été acquittée.
Les faits sont les suivants. L’Appelante reprochait à l’Intimée d’avoir omis de maintenir une relation de confiance avec la mère d’une fratrie dont elle s’occupait, d’avoir exercé la profession de manière impersonnelle, d’avoir manqué d’objectivité et d’intégrité dans la rédaction de ses notes évolutives et d’avoir procédé à l’évaluation d’un signalement d’abus physiques concernant le père des enfants de façon contraire aux normes généralement reconnues. Suite à l’audition en première instance, le Conseil a décidé d’acquitter l’Intimée de tous les chefs qui pesaient contre elle, notamment en raison de l’absence de gravité des actes posés, qui ne constituaient pas, à son avis, une faute déontologique. Dans le cadre du présent jugement, l’Intimée demande d’être relevée du défaut de présenter une demande en rejet d’appel, ce à quoi ne s’oppose pas l’Appelante. Subséquemment, l’Intimée dépose sa demande en rejet d’appel en alléguant que celui-ci est abusif et injuste. Finalement, à défaut de lui accorder le rejet de l’appel, l’Intimée demande une provision pour frais considérant notamment le déséquilibre financier entre les parties en cause. L’Appelante quant à elle présente une demande de dépôt de preuve nouvelle tendant à démontrer la partialité d’un des membres du Conseil.
Le Tribunal formule les questions en litige comme suit : (1) L'examen sommaire des motifs d’Appel démontre-t-il l’absence de fondement ou de chance raisonnable de succès?; (2) Le principe de la proportionnalité prévu au Code de procédure civile[2] s’applique-t-il en droit disciplinaire? Si oui, peut-il s’appliquer en l’espèce et permettre d’octroyer des dommages-intérêts dans l’éventualité où l’appel est qualifié d’abusif ou encore donner une ouverture à une provision pour frais?; (3) Les documents que l’Appelante souhaite mettre en preuve répondent-ils aux critères de la preuve nouvelle?
En lien avec la première question, le Tribunal établit dans un premier temps que l’article 365 du Code de procédure civile concernant la requête en rejet d’appel s’applique en droit disciplinaire. En ce sens, il reprend les principes explicités dans la décision Bédard c Sabourin[3] : L’audition d’une requête en rejet d’appel requiert une évaluation des augments évoqués dans les motifs d’appel qui puissent se faire rapidement pour vérifier s’ils présentent, en apparence, une certaine cohérence, sont défendables juridiquement et soulèvent une discussion susceptible d’un débat raisonnable eu égard à la décision rendue. De même, le Tribunal réitère le sens à donner à l’expression « caractère frivole de l’appel » qui consiste à déterminer si l’appelant formule des arguments défendables et l’expression « au peu de chance de succès de celui-ci » qui consiste à décider si l’appel reflète une forme de mauvaise foi ou de témérité de la part de l’appelant. En l’espèce, le Tribunal prend connaissance des motifs invoqués par l’Appelante dans sa requête en appel et conclut qu’une analyse au fond est nécessaire. Le Tribunal ne peut donc conclure que l’appel est futile ou qu’il a peu de chance de succès à ce stade-ci et il rejette donc la demande en rejet d’appel de l’Intimée.
En lien avec la deuxième question en appel, le Tribunal doit simplement se pencher sur la possibilité d’une provision pour frais, vu sa décision de ne pas accorder la demande de rejet d’appel. Afin d’octroyer une provision pour frais, le Tribunal indique qu’il doit déclarer que l’appel parait abusif. En effet, le déséquilibre financier existant entre les parties ne peut à lui seul entraîner l’octroi d’une provision pour frais. En l’espèce, le Tribunal ne voit pas d’élément lui permettant de conclure que l’appel paraît abusif et il décline donc la demande de l’Intimée.
Finalement, en lien avec la troisième question en appel, le Tribunal réitère les critères devant être pris en compte pour autoriser ou refuser le dépôt d’une preuve nouvelle : (1) la preuve n’existait pas, n’était pas connue de la partie qui l’invoque ou ne pouvait être présentée en temps opportun; (2) la preuve additionnelle porte sur une question décisive ou potentiellement décisive; (3) la preuve est plausible; et (4) la preuve est susceptible d’influer le résultat. En l’espèce, le Tribunal conclut que deux des documents présentés par l’Appelante ne sont pas admissibles notamment en ce que les faits qu’ils relatent existaient au moment de l’audition, donc qu’il aurait été possible de les soulever en première instance. Cependant, le Tribunal accepte le dépôt d’un courriel qui est postérieur à l’audition de la preuve et possède les attributs requis pour être admissible en appel.
En conclusion, nous retenons notamment de cette décision qu’une demande en rejet d’appel sera accordée s’il est démontré que l’appel a un caractère frivole et qu’il a peu de chance de succès. De même, nous retenons qu’une provision pour frais ne peut être octroyée que lorsque l’appel paraît abusif. Finalement, nous retenons que les éléments de preuve que nous souhaitons déposer en appel doivent respecter l’ensemble des critères mentionnés ci-haut pour que le Tribunal accepte leur dépôt.
[1] Travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux (Ordre professionnel des) c Carvajal-Quinteros, 2018 QCTP 89
[2] RLRQ, c C-25.01
[3] 2017 QCTP 95