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Le 8 décembre 2016, le Tribunal des professions (ci-après « Tribunal ») accueillait, par la présente décision[1], l’appel du Dr John Backler quant à une décision rendue le 5 juin 2012 par le Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec (ci-après « Conseil ») dans laquelle ce dernier était trouvé coupable des douze chefs d’infraction portés contre lui.

Les faits se résument comme suit. L’appelant, médecin de famille dans sa clinique, se voit reprocher de s’être prêté à un exercice de la médecine « marqué au coin du lucre et de la commercialité », et ce, en favorisant l’accessibilité prioritaire aux patients faisant effectuer leurs examens de laboratoire auprès de la compagnie Laboratoires Jomar Inc. Le délai d’attente pour les patients ayant fait le choix d’effectuer leurs examens de laboratoire étant effectivement de quatre (4) mois moins long que le délai imputé à ceux qui choisissaient l’option publique. En première instance, le Conseil de discipline trouva le Dr Backler coupable sur chacun des chefs en vertu de l’article 63 du Code de déontologie des médecins[2] ainsi qu’en vertu de l’article 59.2 du Code des professions. Par ailleurs, chacun des chefs qui étaient portés contre le Dr Backler visaient la même infraction, mais pour une période de temps différente. Pour respecter la règle des condamnations multiples, le Conseil déclara l’arrêt conditionnel des procédures sur l’article 59.2 du Code des professions.

D’un point de vue procédural, l’affaire fut initialement portée devant une autre formation du Tribunal où il fut décidé, le 3 décembre 2014, que le professionnel devait être acquitté à l’égard de tous les chefs, et ce, en vertu de toutes les dispositions de rattachement retenues par le Conseil. Cette décision fut ensuite confirmée par la Cour supérieure le 3 février 2016 sauf en ce qui concerne la question de la culpabilité sur l’article 59.2 du Code des professions où, de l’avis de la Cour supérieure, le Tribunal avait omis de motiver sa décision d’acquittement. La question en litige devant la deuxième formation du Tribunal à entendre le présent dossier était la suivante : Le Conseil a-t-il erré en déclarant l’appelant coupable en vertu de l’article 59.2 du Code des professions ?

Dès le début de son analyse, le Tribunal rappelle ce que constitue un acte dérogatoire à l’honneur ou à la dignité de la profession en vertu de l’article 59.2 du Code des professions. De son avis, un acte sera contraire à l’article 59.2 du Code des professions s’il « nuit à l’image ou à la réputation de l’ensemble de la profession, qu’il est d’une gravité certaine ou qu’il attaque l’essence même de la profession »[3]. Cette conduite doit revêtir une certaine gravité[4]. Le Tribunal rappelle également que la preuve du caractère dérogatoire de l’acte doit être faite par les parties et que les membres du Conseil ne peuvent suppléer à l’absence d’une telle preuve leur connaissance de l’existence d’une certaine norme au sein de la profession.

En l’espèce, l’intimé soulevait que l’existence d’un déséquilibre quant au délai d’attente pour obtenir un rendez-vous pour l’examen annuel constitue à lui seul un préjudice à la profession. Selon lui, la façon de procéder de l’appelant a pour conséquence de donner une image négative à la profession et constitue un accroc au choix de la société d’avoir un accès pour tous au système de santé. Ceci étant, et bien que le Tribunal reconnaisse la différence au niveau du délai d’attente entre les deux (2) catégories de patients, ce dernier rejette les prétentions de l’intimé pour les raisons suivantes.

Premièrement, il considère que la justification donnée par l’intimé, « à la fois administrative et médicale », explique la différence au niveau du délai. À cet effet, le Tribunal a retenu comme explication que l’intimé réservait aux clients devant se présenter à jeun les rendez-vous de l’avant-midi. Ce sont ces clients dont les prélèvements étaient effectués par le laboratoire susmentionné. Pour le reste, comme il y a moins de périodes de rendez-vous en après-midi et que le système public est plus sollicité que le système privé au niveau des prélèvements, un « écart s’est créé dans le délai pour obtenir un examen périodique entre les deux (2) groupes de clients ».

Deuxièmement, le Tribunal ajoute au fardeau de la preuve de l’intimé le passage suivant contenu à son chef d’infraction : « […] de manière discriminatoire et au détriment des patients ». Selon lui, l’intimé, qui alléguait ce préjudice dans son chef, devait réussir à le prouver pour qu’il y ait acte dérogatoire en fonction de l’article 59.2 du Code des professions. Or, comme l’ancienne formation du Tribunal avait déjà décidé que les patients devant attendre quatre (4) mois de plus ne subissaient aucun préjudice, la nouvelle formation conclut qu’il ne peut y avoir de geste « discriminatoire et au détriment des patients qui utilisent le système public pour les prélèvements ». Cette absence de préjudice était notamment justifiée par l’ancienne formation de par le fait que de toute façon, les tests en question n’étaient assurés par la Régie de l’assurance maladie du Québec qu’une fois par année. En conclusion, donc, le Tribunal affirme que « la façon de procéder de l’appelant pour donner ses rendez-vous pour des examens annuels n’équivaut pas à l’établissement d’un système de priorité discriminatoire et au détriment des patients pouvant constituer un acte dérogatoire à l’honneur et à la dignité de la profession ».

Nous retenons de cette décision le rappel du principe voulant qu’une condamnation en vertu de l’article 59.2 du Code des professions requière la preuve d’une conduite d’une certaine gravité. Autrement, comme « il arrive à tous les professionnels de commettre des erreurs », la vie de ces derniers serait « invivable si la moindre erreur […] était susceptible de constituer un manquement déontologique ». D’abondant, nous retenons de l’importance accordée par le Tribunal au libellé du chef d’infraction déposé par l’intimé que le contenu des chefs d’infraction pourra parfois être utilisé par les tribunaux à titre d’indication concernant le fardeau de la preuve qui doit être atteint pour prouver la présence d’un manquement déontologique. Face à cette possibilité, et dans l’objectif d’éviter que des fardeaux pouvant être indus ne soient imposés aux poursuivants, nous croyons qu’une rédaction plus purifiée des chefs d’infraction pourrait dorénavant, et dans certaines circonstances, être à privilégier.

[1] Backler c. Médecins (Ordre professionnel des), 2016 QCTP 153.

[2]  R.L.R.Q., c. M-9, r. 17.

[3] LESSARD, Jean-Olivier, « Honneur, dignité et discipline dans les professions », Développements récents en déontologie, droit professionnel et discipline, vol. 323, 2010, p. 161.

[4] Malo c. Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des), 2003 QCTP 132.